Un jour en mai, par George Pelecanos

pelecanos.jpeg « Bon, enfin, on peut tous monter dans la voiture qu’il faut pas« 

Le quatrième de couverture était pourtant très tentant… « Ça se passe un jour en mai. En 1972. Alex Pappas, 16 ans, décide de suivre ses acolytes pour une virée dans le quartier noir, histoire de semer un peu la pagaille. Forcément, l’affaire tourne mal. Trente-cinq ans plus tard, le souvenir de « l’incident » est toujours vivace. Certains cherchent à se racheter, d’autres veulent toujours en découdre. Tous ont la rage au ventre« .

Avant d’aller plus loin, il faut préciser une chose : sur la couverture, on peut également lire que ce titre est un « policier ». Alors, je suis loin d’être une spécialiste ès-classement par genre littéraire, mais tout de même, il m’avait toujours semblé que la catégorie polar supposait une intrigue forte, une énigme quelque part, un semblant d’enquête, de suspens et/ou de tension… Donc si y’a bon, y’a comme un souci, parce que de « policier », ce récit n’en point la queue d’un.

Attention, ce n’est pas de cette erreur d’étiquetage que provient ma déception. Simplement, à défaut d’intrigue énergique, le récit s’apparente davantage à une chronique de vies, et à défaut d’intensité, sa lecture est parfois laborieuse. Quant à la question de savoir ce qu’il s’est  réellement passé il y a trente cinq ans, le lecteur aura vite fait de lever le voile avant que l’auteur ne se décide à en dire plus ; et les révélations, surprises et rebondissement se réduisent finalement à peau de chagrin.

Il y a bien quelque chose qui se veut dans la grande tradition américaine du roman noir, mais ça n’a pas davantage fonctionné, loin de là. D’abord parce que je n’ai franchement pas été transcendée, ni par l’ambiance, ni par le style. Mais surtout parce que la critique sociale m’a semblé grossière, en particulier cette façon de porter aux nues cette brave middle-class et sa valeur travail. L’auteur prend de gros sabots pour essayer de démontrer que l’ascenseur social fonctionne aux États-Unis, et qu’il suffit d’appuyer sur un bouton, comme les Moneroe, ou d’être de ces travailleurs qui se lèvent tôt, comme les Pappas et leurs employés, pour mener sa vie « dans l’ordre des choses ». La réussite, c’est simple comme un coup de pied au c*l, non ? Non ?

Non, décidément, tout cela m’a semblé très simpliste, et cette vision bas de plafond m’a contrarié tout du long. Avec en point d’orgue, la happy end par laquelle cet état d’esprit  bisounours, dégoulinant de bons sentiments et de paresse intellectuelle est enfin clairement démasqué. (Edit : l’auteur porte certes un regard très sombre sur la société américaine ; et rares sont ceux qui expient leurs fautes et obtiennent le pardon qui apparaît dans le dénouement. Mais je n’ai pas adhéré à cette vision rédemptrice et bien-pensante, toute en facilité à mon sens dans ce roman).

A défaut d’avoir relevé un passage en particulier, l’incipit : « Pappas et Fils, c’est comme ça qu’il avait appelé le coffee shop. Quand il avait ouvert, en 1964, ses fils n’avaient que huit et six ans, mais il escomptait que lorsqu’il vieillirait, l’un des deux reprendrait le flambeau. Comme tous les pères qui n’étaient pas des malakas, il avait envie que les fistons s’en sortent mieux que lui. Ils voulait qu’ils fassent des études. Mais bon, on ne sait jamais ce qui va se passer« .

Malgré cette déception, j’adresse bien sûr mes remerciements à l’équipe de 51410427p.jpg et aux éditions Points pour ce partenariat !

Je m’empresse d’ailleurs de signaler que j’ai trouvé des avis positifs sur ce roman, comme ceux de Yann, de Patrick, de Kathel. Hérisson est plus mitigée et Mimi très déçue.

Et en jetant un oeil aux avis publiés sur le site du Prix des meilleurs polars de Points lui-même (qui propose également de lire le premier chapitre d’Un jour en mai – un format PDF que je ne peux malheureusement pas insérer ici), je découvre aussi des avis très négatifs… le « stop la guimauve » m’a même semblé un peu fort… quoi que !

Bonne plock à tous !.

Un jour en mai (The Turnaround), par George Pelecanos (2008), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Etienne Menanteau, aux éditions Points (2010), 376 p., ISBN 978-2-7578-1764-3.



La Reine des pommes, par Chester Himes

  En haut de la pile« On pouvait se faire égorger sans crainte d’être dérangé »

Jackson est tellement naïf… Il n’a pas réalisé que cette histoire de billets qui font miraculeusement « des petits » est une belle arnaque dont il était le parfait pigeon. Et il ne voit pas davantage que sa petite amie Imabelle est de mèche avec les escrocs. Convaincu que la bande avec qui elle s’est enfuie la retient contre son gré, il n’a qu’une idée en tête : délivrer sa bien-aimée de leurs sales pattes. Il demande alors de l’aide à son frère Goldy, personnage haut en couleur qui sillonne Harlem déguisé en bonne soeur, vendant des tickets d’entrée au paradis pour se payer sa dose, et ne voit pas davantage que celui-ci cherche à le doubler, avant tout motivé par l’appât du gain.   

La Reine des pommes est un récit vif, bourré d’action et d’humour, où l’on ne s’ennuie pas un instant. Quel rythme ! Et quels personnages aussi ! Jackson évolue dans un monde d’escrocs, de toxico, de joueurs, de prostituées, d’assassins – voir tout cela à la fois – particulièrement cruels dans leur volonté de s’en sortir à tout prix au détriment des autres. Et les deux flics, délicieusement surnommés Fossoyeur et Cercueil – dont c’est ici la première apparition sous la plume de l’auteur – ne vont franchement pas relever le niveau des crapules auxquels ils ont affaire.

Un polar ? La Reine des pommes en prend parfois le chemin et dégage un vrai suspens, en particulier dans sa dernière partie. Mais c’est aussi – et peut-être même avant tout – un récit qui oscille entre farce et roman noir, plongeant le lecteur dans une atmosphère parfois très glauque. Car Chester Himes porte un regard sans concession sur Harlem. Il dépeint une société violente où la bêtise des uns n’a d’égale que la méchanceté des autres, offrant un récit drôle et brutal de Candide au pays du banditisme.

Mais c’est surtout le style de Chester Himes qui donne toute sa saveur à ce récit. Une plume inventive, fluide, truffée d’expressions loufoques. Lorsque Jackson sursaute, il manque de « sortir de sa propre peau » et lorsqu’il est assommé, c’est « sous la caresse d’une crosse de pistolet« . Et plus que tout, c’est le « parlé vrai », le langage argotique et parfois grossier des dialogues qui donne tout son réalisme à cette histoire, somme toute assez déjantée.

« - Écoute-moi gars. Les mirontons qui t’ont empilé, eh bien, ils sont recherchés par la police du Mississipi, pour avoir rectifié un Blanc. Ces mecs-là sont dangereux. Si tu sors avec un pistolet, t’es sûr de te faire descendre. C’est tout ce que tu vas y gagner. Et ça l’avancerait à quoi, ta femme, si t’es buté ?

- Je vais les feinter, moi, ces mecs, déclara Jackson rageur.

- T’es fou à lier, mon gars. Tu sais même pas où ils se planquent.

- Je les trouverai, même si je dois sonder toutes les caves de Harlem.

- Mec, saint Pierre lui-même, il connaît pas toutes les caves de Harlem« .

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Une excellente lecture et un grand merci à Manu qui a vraiment fait un très bon choix en m’offrant ce livre à l’occasion du Swap’in Follies ! J’ai désormais très envie de découvrir plus en avant cet auteur au parcours atypique.

Bonne plock à tous !

La Reine des pommes (The Five Cornered Square), par Chester Himes (1958),  traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Minnie Danzas, aux éditions Folio (2009), 282 p., ISBN 978-2-07-040811-5.



Un rêve américain, par Norman Mailer

mailer.jpeg  « Un homme n’a jamais que du vide entre ses certitudes« .

Il était une fois à New-York, au début des années 60, un ancien héros de guerre reconverti en star du talk-show, marié depuis près de huit ans à la jolie fille d’un homme richissime… pour son plus grand malheur. Car ce n’est pas peu dire que Rojack et Déborah sont torturés. Ils ne se supportent plus, s’enivrent, s’insultent, se quittent, se retrouvent, jusqu’à la dispute de trop : Rojack la tue. Puis décide de déguiser son meurtre en suicide et d’appeler la police, avec laquelle il va jouer, non pas au mari éploré, mais au plus malin. Jusqu’à quand ?

Ainsi, Rojack, qui est aussi le narrateur, raconte, tout simplement, la dégénérescence de son mariage jusqu’au passage à l’acte fatal, et les nuits d’errance qui s’en suivent. Sans épargner personne – et surtout pas lui-même – il décrit de manière parfois abjecte sa descente aux enfers et ses tentatives pour se maintenir hors de l’eau, espérant trouver son salut dans les bras d’une chanteuse de Harlem.

Un rêve américain est un roman d’une noirceur extrême, tourmenté, douloureux, brutal. Certaines scènes prennent totalement aux tripes,  tandis que d’autres, plus lentes par comparaison, maintiennent dans un état de forte tension, malgré quelques longueurs. Aux interrogatoires de police se succèdent les mauvaises rencontres, des bas-fonds aux plus hautes tours de New-York, une New-York sombre, mafieuse, angoissante. 

L’écriture est sublime et le récit, aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi réaliste qu’onirique. Norman Mailer parvient à créer une ambiance cauchemardesque, du fait d’une violence quasi-permanente – mais le plus souvent contenue, latente, et toujours prête à exploser. Un monologue dont l’on ressort souvent secoué, et dans lequel je me replongeais avec autant d’appréhension que de plaisir.

« Tu m’aimes mon chou ? demanda-t-elle.

- Oui.

- Ca doit etre affreux. Parce que tu sais que je ne t’aime plus du tout. »

Elle le dit si tranquillement, avec un tel sens de l’irrévocable, que je repensai à la lune et à la promesse d’extinction qui était descendue sur moi. J’avais ouvert un vide – je n’avais désormais plus de centre. Comprenez-vous ? Je ne m’appartenais plus. Déborah avait occupé le centre.

« Oui, tu as de nouveau un air horrible, dit Déborah. Tu t’améliorais, à un moment, mais tu es redevenu affreux.

– Tu ne m’aimes pas.

- Oh ! Pas le moins du monde. ».

J’ai adoré cette lecture coup de poing, un bad trip à mi-chemin entre Blade Runner et Gang of New-York. Un Rêve américain, un livre (enfin !) exhumé de ma PAL grâce à une lecture commune avec Ingannmic !

Idéal pour préparer le Swap’in Follies de Manu et Amanda !

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Bonne plock à tous !

Un rêve américain (An American Dream), par Norman Mailer (1965), traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Alien, aux éditions Livre de poche (1967), 314 p., ISBN 2-253-01646-2. 



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