Des Hommes, par Laurent Mauvignier

index.jpeg « Et puis elle fermera les yeux pour ne plus voir, et elle verra toujours plus« .

Puisqu’il m’est très difficile de présenter ce roman qui m’a vraiment bouleversé, je m’en remets sagement au quatrième de couverture. « Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements », en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d’autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies. Mais parfois il suffit de presque rien, d’une journée d’anniversaire en hiver, d’un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier »

Voilà un texte fort, un texte extrêmement puissant qui m’a secoué comme rarement. Une lecture coup de poing que je n’oublierai pas de sitôt, si tant est que je puisse l’oublier un jour. Voilà un récit suffocant, de ces récits qui prennent à la gorge et ne vous lâchent plus.

Et pourtant ce n’était pas gagné. Je craignais bien sûr le style. Les premières pages sont obscures, et, décontenancée, j’avance par tâtonnements dans le récit particulier de Laurent Mauvignier. Un parlé enivrant, des phrases parfois versées comme une litanie, tronquées, amputées, comme des mots qui ne sortent pas, trop difficiles à prononcer. Je me demande même à plusieurs reprises, dans les 50 ou 70 premières pages, si je vais pouvoir continuer.

Et puis… le déclic. C’est l’emballement, je ne peux plus m’arrêter. Une fois dompté, le récit devient hypnotique. Une lecture qui devient alors très difficile d’interrompre, une lecture qu’il est urgent de reprendre, en dépit du malaise, du vertige et parfois de l’aversion que les personnages peuvent susciter.

Pour approcher ce roman dont il est finalement très difficile de parler, cette page des éditions de Minuit qui reprend des entretiens avec l’auteur et les premières pages du roman (dans un format PDF que je ne peux malheureusement pas insérer ici) et un petit extrait :

« Je me souviens de comment nous on sillonnait la ville et comment soudain la ville n’était plus la même, tous ces gens qui d’un seul coup laissaient devant nous, sans peur, enfin sans peur, échapper une joie qu’ils avaient sur le coeur et que rien ne retenait plus, un peuple entier debout et fou de liberté, tout à coup, comme si en les regardant on était face à ce que nos parents avaient connu un peu moins de vingt ans avant, quand les Allemands ont quitté la France, ce bonheur, la liesse, le grand bonheur dont est capable la foule quand elle déborde d’elle-même, je me souviens de ça, l’émotion si folle, si belle, des Algériens.« .

Un immense merci à Reka de faire voyager ce livre qui poursuit sa route chez Clara : les avis – enthousiastes – de Plaisirs à cultiver, Caro[line] et Brize, et ainsi que ceux – plus mitigés, notamment en raison du style – de Reka, Sylire et Constance. C’est un coup de coeur pour Gambadou, Val et Aurore ! Et d’autres avis recensés sous le très beau billet d’InColdBlog.

Bonne plock à tous !.

Des Hommes, par Laurent Mauvignier (2009), aux éditions de Minuit (2009), 281 p., ISBN 978-2-7073-2075-9. 



C’est pas la plock

Jean Ferrat bien sûr.

Mais… poésie, amour, politique, nature, mémoire ?

Mémoire.

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*** 

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent

Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir

Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
 

Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
 Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers

On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare

Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent

Paroles et musique de Jean Ferrat.
***

Mango, Schlabaya, Lystig, TinusiaLa plume et la page et George lui rendent aussi un bel hommage dans le cadre des dimanches poétiques de Celsmoon, tout comme Malika sur son joli blog.

Bon plock du dimanche quand même.



L’Histoire d’un mariage, par Andrew Sean Greer

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En ouvrant ce livre, j’ai rencontré Pearlie Cook. Cette femme m’a invité à m’assoir sur un banc et m’a raconté une histoire, l’histoire de son mariage, et par delà, l’histoire de sa vie.

Surtout ne pas s’arrêter au titre si, comme moi, le mot ‘mariage’ vous fait fuir. C’est une belle écriture, sans pathos, souvent sur le fil. J’ai pris plaisir à écouter Pearlie raconter sa vie. J’ai aimé la pudeur qu’elle a mis sur des thèmes délicats à manier (la solitude, le sentiment de rejet ou d’abandon).

Pearlie et son mari se sont connu adolescents, dans le Kentucky. La guerre ne leur a pas laissé le temps de s’aimer davantage. Il est devenu soldat, elle est partie pour la Californie. Plusieurs années après, ils sont tous deux à San Francisco, ils se retrouvent par hasard, ils se marient, ils élèvent un garçon et un chien muet. En 1953, alors que les États-Unis sont empêtrés dans une nouvelle guerre, Charles « Buzz » Drumer sonne à leur porte et va bouleverser ce bonheur de surface.

 Il y a une vraie trame, du suspens même, dont on se demande s’il va tenir tout le roman pour être parti si vite. Et bien oui. Il monte même en puissance. Quatre chapitres dont chacun se termine sur une révélation qui fait permet à l’histoire de rebondir – les cliffhanger sont efficaces. Certes, les nombreux tête-à-tête entre Pearlie et Buzz ou ses réflexions convenues sur le mariage m’ont parfois lassé ; mais je l’ai laissé parler, car j’ai finalement trouvé que l’intérêt de cette histoire était ailleurs.

L’histoire de Pearlie n’est pas un roman d’amour, c’est un roman de guerre. Son récit est profondément imbriqué dans l’histoire américaine - côté verso. La vie de Pearlie s’est construite malgré, ou à cause, de l’intolérance et du bien-pensant des années 50 : la chasse aux sorcières, la ségrégation, la guerre de Corée et le souvenir de celle qui précède. Pearlie – enfin, je veux dire Andrew Sean Greer – maîtrise parfaitement le flash-back, technique périlleuse s’il en est et qui, ici, loin de perdre le lecteur, donne toute son épaisseur au récit.

« C’est ainsi que passait nos soirées : à table, avec de la bière et de vieilles histoires qui n’éclaircissaient rien. J’eu l’idée de confectionner un gâteau qui (…) devint une tradition, et ce qu’il y avait là de ridicule nous faisait rire. Nous avions tous trois grandi pendant la crise des années trente, sans gâteaux, survécu sans beurre à une guerre, voilà que nous mangions du gâteau chaque soir« .

Pearlie a raconté son histoire jusqu’au bout, elle ne m’a pas laissé sur ma faim. Puis elle est repartie, elle m’a laissé là, sur le banc, encore sous le coup de son histoire, face à l’océan et tournant le dos au reste de l’humanité.

Je ne peux que vous encourager à vous asseoir sur ce banc et sentir, vous aussi, monter une colère sourde, une mélancolie amère et un besoin urgent de tolérance. 

L’avis de Titine qui a aussi été emballée, et de Chaplum, positif, même si mitigé pour d’autres raisons !

Bonne plock à tous !

L’histoire d’un mariage (The Story of a Marriage), par Andrew Sean Greer, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Suzanne V. Mayoux, aux éditions Points, 264 p., ISBN : 978-2-7578-1648-6.

 



Le brave soldat Chveik, par Jaroslav Hasek

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Le soldat Chvéïk est aujourd’hui célèbrissime en Europe centrale. Il est un peu à la République Tchèque ce que Mr Hulot est à la France, Mr Bean au Royaume Uni ou Pac Man aux jeux vidéo : un personnage emblématique et salutaire.

Prague, 1914. Un archiduc vient d’être assassiné à Sarajevo, et la guerre est inévitable. Le récit commence donc sur des évènements graves qui pourraient laisser augurer d’un roman bien sombre… Que nenni ! C’était sans compter sur ce brave Chvéïk, nigaud patenté et fervent patriote, qui va – à son insu - transformer le funèste épisode de l’entrée en guerre en une superbe bouffonnerie. Ses pérégrinations, dans un monde que Kafka n’aurait certainement pas renié, sont l’occasion de moquer à qui mieux mieux la police, les médecins, l’église et bien sûr l’armée.

Le grotesque et la satire (qui valent à ce personnage d’être éternellement comparé à Don Quichotte) naît certainement du décalage entre le comportement du bonhomme et la situation à laquelle il est confronté. Chvéïk veut à tout prix défendre l’honneur impérial ; pourtant, il va risquer successivement une condamnation pour haute trahison, l’internement, la prison, quand il n’est pas considéré comme un simulateur souhaitant être réformé !

La bêtise de Chvéïk en fait surtout un succulent pince-sans-rire. A l’épouse du cafetier emmené, il répond : « c’est la première fois que je vois condamner un homme innocent à dix ans de prison. Cinq ans passent encore, mais dix, c’est un peu fort de café » (chapitre VI). Et à l’aumônier déprimé par le manque de ferveur religieuse parmi les soldats, « il y avait dans le temps un curé doyen qui, après que sa vieille gouvernante a eu décampé en emportant leur gosse et leur argent, a pris seulement une femme de ménage » (chapitre XII). Un humour très efficace… un temps du moins.

La première partie m’a totalement enthousiasmé. Comme un mélange du Procès (à qui les premiers évènements – les arrestations arbitraires, l’asile, le centre de santé militaire - font indéniablement penser) et du Dîner de cons – sans le dîner.

Arrivé au milieu du récit, une certaine lassitude s’est cependant installée. Le propos de Jaroslav Hasek est toujours aussi acerbe, mais j’ai dû finir par m’accommoder d’un humour un poil redondant. Attention, cette réserve est sommes toute très anecdotique ! J’espère ne vous fera pas renoncer à plonger dans ce livre qui le mérite amplement…

D’ailleurs, une adaptation ciné est visible sur … mais seulement en langue allemande. Après, sans y être familiarisé, j’ai pris grand plaisir à regarder quelques séquences, qui ne sont pas sans rappeler Bourvil ou Charlie Chaplin… avis aux amateurs !

Lu dans le cadre du Challenge Europe Centrale et Orientale

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organisé par La Plume et la Page

Bonne plock à tous !

Edit : je découvre que le récit est dit inachevé sur Wiki (attention au spoiler d’ailleurs). Je rassure, cela ne se sent pas vraiment à la lecture, le dernier chapitre s’intitulant d’ailleurs  »Catastrophe » et constituant, de facto, une très jolie chute !

Le brave soldat Chvéïk (Dobrý voják Švejk), par Jaroslav Hasek (1921-1923), traduit du tchèque par Henry Horejsi, aux éditions Gallimard (1932), 249 p.



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