La septième rencontre, par Herbjorg Wassmo

  En haut de la pile « Il faut être couché à la dure et veiller un chien en bord de mer pour entendre l’univers » .

Profitons d’une bonne série de quatrième de couverture : « Rut et Gorm sont des enfants du Grand Nord norvégien, un pays de mer, de travail et de silence. Issus de milieux différents, solitaires par obligation et victimes de la rigueur morale de leurs familles respectives, leurs rencontres ne pouvaient être que fortuites et éphémères. La première eut lieu alors qu’ils n’avaient que neuf ans. Elle les a marqué pour toujours. Depuis, ils ne se sont croisés que cinq fois et jamais ils n’ont pu approfondir cette relation distante et pourtant réconfortante. Ils ont désormais la trentaine. Rut est devenue une artiste réputée, Gorm un homme d’affaires respectable. C’est leur septième rencontre. Peut-être leur dernière chance… »

Quel bonheur de retrouver Herbjorg Wassmo ! Je dois pourtant bien avouer que les premières pages m’ont fait un peu peur – j’ai cru un instant retrouver les mêmes difficultés que celles rencontrées lors de la lecture de La Fugitive. Mais finalement, je retrouve assez vite l’ambiance, le cadre, le style qui ont fait mon bonheur à la lecture des trilogies de Tora, de Dina et de Karna (que je ne recommanderai jamais assez !) et qui font cette auteur norvégienne l’un de mes écrivains préférés.

A la fin de ma lecture, je constate également qu’elle ne s’est pas départie des thèmes qui lui sont chers : la différence, la résistance, la passion – et la solitude qu’elles entraînent face au groupe et aux conventions. Car contrairement à ce que le titre aurait pu laisser entendre, le sujet de ce roman n’est pas tellement l’amour. Il est davantage question du destin : destin au sens quasi-mystique d’abord (ces rencontres, ces étranges coïncidences qui lient les deux personnages) ; destin au sens social ensuite, car les personnages rencontrent toutes les difficultés du monde à sortir d’un chemin tout tracé par leurs origines et à s’accomplir envers et contre tout.  

Une ambiance sombre, un récit terriblement réaliste, à peine quelques lenteurs ou langueurs, c’est selon. Herbjorg Wassmo crée surtout une vraie intimité avec ses personnages : en racontant leurs vies sur plusieurs décennies de manière alternée, l’auteur leur donne une vraie épaisseur. On s’attache, mais l’on s’émeut difficilement, car elle garde aussi une grande distance avec son écriture froide et épurée. Il manque cependant un rien d’intensité pour être totalement bouleversé. Cela reste une magnifique lecture, qui ne m’a pas tant secoué – mais superbement transporté.

« Toutes les femmes de l’île ne faisaient qu’attendre, à partir de leur confirmation. Elles attendaient l’été et les fêtes locales, attendaient qu’on les raccompagne à la maison, attendaient le mariage, attendaient des enfants. Attendaient des paquets ou des lettres. Ensuite elles attendaient que les fêtes de Noël se passent, ou que le vent tombe« .

Un immense merci à Lady Scar qui m’a offert ce magnifique roman à l’occasion du Swap Happy Face !

A voir également les avis de Cécile, Choco, Plume, Tulisquoi, Keisha, Mango

Bonne plock à tous !

La Septième rencontre (Det Sjuende mote), par Herjorg Wassmo (2000), traduit du norvégien par Luce Hinsch, aux éditions 10-18 (2009), 570 p., ISBN 978-2-264-04321-4.



Winter, par Rick Bass

010674208511.gif « Il y a des gens qui veulent du fric, d’autres qui veulent des caribous« .

« Winter est le récit de l’installation de Rick Bass et de sa femme dans un coin reculé du Montana en plein hiver. Pas d’électricité, pas de téléphone, juste un saloon à une demi-heure de route. Mais une vallée comme au début du monde, une nature splendide et cruelle. Par moins trente-neuf degrés, le rêve se fait parfois souffrance. Dans une prose lumineuse, le défenseur de l’environnement Rick Bass redécouvre, au terme d’un progressif dépouillement, l’essentiel. »

Le récit de Rick Bass est authentique. Et c’est sous la forme d’un journal qu’il nous livre le projet qu’il a réalisé au début des années 1990 : s’installer dans Yaak Valley avec sa compagne Elizabeth, au fin fond du Montana, pour prendre ses distances avec la société moderne. Pour s’intégrer dans ce coin de nature  hostile, être crédible aux yeux des rares habitants, mais surtout pour s’assurer à lui-même qu’il a fait le bon choix, il veut à tout prix réussir son « examen de passage » : « passer l’hiver » et supporter les conditions climatiques extrêmes de ce coin (presque) coupé du reste du monde.

Le journal de Rick Bass alterne faits et ressenti, description et introspection. D’abord, il observe et retranscrit son quotidien. Ce qu’il a vu et ce qu’il a fait, tout simplement. Il est des passages superbes : les rencontres avec des animaux sauvages, les paysages qu’il a surprit, les us et coutumes de la vallée… Mais il en est d’autres bien plus ennuyeux. Par exemple lorsque le journal se fait manuel d’utilisation d’une tronçonneuse. Le temps ralentit avec l’arrivée de l’hiver et sa mono-manie – couper du bois, encore du bois, toujours du bois – a fini par me lasser. 

En revanche, lorsque Rick Bass se tourne vers lui-même, s’interroge sur ses motivations et sur son moi profond à l’approche de l’hiver, le récit est passionnant. C’est d’ailleurs dans ces moments que son style est le meilleur et que les petites phrases sublimes s’alignent comme des perles. Parfois, l’homme se renferme et s’enorgueillit de sa situation ; avec l’extrémisme du converti, il devient plus sauvage que les habitants de la vallée. Heureusement, son bien-être est communicatif et cette lecture apaise à défaut de surprendre.  Car ici, comme me le faisait judicieusement remarquer Titine, point de page 113 !

« Je peux m’imaginer devenu si accro à cette vallée, dépendant d’elle à tel point pour ma paix intérieure, qu’elle est serai l’otage. Et quelque fois, Elizabeth et moi, n’étant après tout que des êtres humains, sommes obligés de nous demander : Qu’est-ce qui nous manque ? D’ordinaire la réponse facile, celle qui fuse, c’est : Rien du tout, bordel. Pourtant, il y a des jours – ici comme partout ailleurs j’imagine – où une espèce de nostalgie balaie la vallée comme une brume impalpable. Mais nous sommes incapables de la définir, de l’épingler au passage – et elle disparaît bien assez vite« .

Même s’il me laisse sur une impression mitigée, ce livre reste un compagnon idéal de la torpeur caniculaire : en tant que récit contemplatif et rafraîchissant bien sûr, mais aussi en tant qu’il interpelle sur la sauvegarde de l’environnement à un moment où le réchauffement climatique est particulièrement criant.

Tous mes remerciement à l’équipe de 49799387p1.png et aux éditions Folio pour ce partenariat !

Les avis de Papillon, Titine, Cathulu… (j’ai bien vu passer d’autres billets mais je ne parviens pas à les retrouver ; faites moi signe !) et pour les amateurs : le site de Yaak Valley... et le blog du Saloon où se rend régulièrement Rick Bass !

Bonne plock à tous !

Winter (Winter, notes from Montana), par Rick Bass (1991), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Vierne, aux éditions Folio (2010), 261 p., ISBN 978-2-07-041405-5.



Sukkwan Island, par David Vann

  En haut de la pile « C’était un père étrange qu’il voyait sur cette île »

Jim va concrétiser un projet assez fou : vivre « à la dure » le temps d’une année avec Roy, son fils de treize ans, dans une cabane isolée. Les voilà donc partis pour une île sauvage et coupée du monde, au Sud de l’Alaska. L’essentiel est à la survie, notamment pour préparer l’hiver à venir. Mais l’inconscience de Jim devient rapidement évidente. Père immature, aventurier incompétent, dépassé par les événements, il commence à montrer des signes de fatigue nerveuse pour le moins inquiétants. 

Nombreux sont ceux à avoir aimé Sukkwan Island ; et je suis désormais de ceux-là !

J’ai aimé Sukkwan Island pour le cadre – les grands espaces, la nature sauvage, le grand Nord – et le réalisme du récit (pour partie autobiographique) : la fraîcheur des nuits, l’odeur du feu et du poisson fumé, le bruit des pas dans la neige… saisissant.

J’ai aimé Sukkwan Island pour le point de vue adopté par David Vann, à la fois intime et distant, et l’écriture directe, « parlée », sèche qui en découle. J’ai aimé Sukkwan Island pour l’audace des thèmes abordés – comme la perte des repères, le poids du passé ou la confiance en l’autre – et pour les variations de rythme et d’intensité dans le récit.

Mais j’ai surtout aimé Sukkwan Island pour la forte tension psychologique qui se dégage de ce huis-clos à ciel ouvert. Les personnages sont acculés, poussés à bout. Jusqu’à cette fameuse page 113, assez effroyable, qui fait basculer le récit. J’avais beau savoir que cette page était redoutable, la surprise n’en a pas été moins grande… Ensuite, impossible de reposer le livre, je l’ai lu au final d’une traite dans la soirée, sans répit. Une lecture forte, incontestablement !

« Réfléchissons, fit-il. On a creusé un trou. On a un grand trou là, maintenant. Il faut qu’on y stocke de la nourriture Il nous faut quelque chose comme une espèce de cabane, je pense, avec une porte qui nous permette d’entrer mais qui maintienne les ours dehors. La porte pourrait être sur le dessus, ou sur un côté avec un passage qui nous laisse un accès. Je suis en train de me dire que la porte devrait plutôt être sur le dessus, qu’on devrait la couler et l’enterrer. Qu’est-ce que tu en penses ?

Son père levait les yeux sur lui. Roy se disait : Tu ne t’es pas arrangé. Rien ne s’est arrangé. Tu pourrais aussi bien décider de t’enterrer ici, ou je ne sais quoi. Mais il répondit plutôt : Comment est-ce qu’on accède à la nourriture ?«  

Très heureuse d’avoir reçu ce livre-voyageur proposé par Caro[line], également passé chez **Fleur**, et qui a déjà poursuivit sa route chez Ingannmic, Géraldine … sans oublier les nombreux avis recensés par BOB !

Bonne plock à tous !

Sukkwan Island, par David Vann (2008), traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Derajinski, aux éditions Gallmeister (2010), 192 p., ISBN 978-2-35178-030-5.



Tête de Chien, par Morten Ramsland

folio021.jpg    « Ne te laisse pas envoûter par les esprits des arbres »

« Entre Norvège et Danemark, des années trente à nos jours, ce récit cocasse célèbre la famille, pour le meilleur comme pour le pire. De la rencontre d’Askild et de Bjork naît une ribambelle de personnages tous  plus loufoques les uns que les autres. Morten Ramsland réussit à conjuguer bonheurs et malheurs avec une impertinence et une légèreté toute enfantine, sans oublier l’amour« .

Bon, allons-y gaîment : ce livre n’est ni plus ni moins qu’un petit bijou capable, me semble-t-il, d’atteindre chacun dans son petit coeur. Si vous aimez les destins pas ordinaires racontés avec brio… foncez !

Plusieurs fois au cours de ma lecture, je me suis demandé à quoi ou à qui ce livre me faisait penser. Et puis la réponse m’est soudainement apparue dans toute son évidence…Voyons : une tragédie grecque racontée à la manière d’une farce ? Une traversée des époques, des lieux, des générations à faire pâlir un psychanalyste chevronné ? Une manière de raconter des choses graves avec légèreté – et inversement ? Une capacité à donner une dimension universelle aux personnages ? Bon sang mais c’est bien sur ! Il y a dans ce livre quelque chose de John-Irving-ien !

Puis, une fois cette lecture refermée, je me suis demandée ce qu’il m’en restait : je crois pouvoir parler d’un formidable tableau bigarré. Tout en couleurs vives nées d’une histoire passionnante, d’un humour pince-sans-rire très présent, d’une intrigue pleine de rebondissements, d’une touche de magie puisée dans les contes scandinaves, d’une fin éclairante – et qui arrache sa petite larme – et du style pétillant, sans longueurs, où l’on prend plaisir à lire chaque mot laissé par l’auteur.

« Bjork commençait à être écoeurée par son époux alcoolique. Des rêves piochés dans toutes sortes de romans sentimentaux de médecins venaient la hanter la nuit, et, dans la journée, ces mêmes romans s’imposaient dans sa vie. Askild n’avait que du mépris pour le nouvel intérêt littéraire de son épouse et il a essayé, sans succès, de lui faire partager sa passion pour les livres d’art et le jazz. Il est indéniable que Bjork était assez mal disposée envers ces enthousiasmes : dans le cubisme, elle ne voyait que la folie de son mari, dans le jazz, elle n’entendait que sa dépendance bruyante à la bouteille. Oui, derrière la lutte sans fin entre les goûts soi-disant cultivés d’Askild et ceux soi-disant populaires de Bjork se cachait un condensé complet de leur relation, et ce combat connut seulement une espèce de trêve lorsque Bjork, sur ses vieux jours, développa un certain goût pour les finesses et les joies des tripots clandestins« .

Un roman que j’ai même envie de relire – et ça c’est plutôt rare, pour ne pas dire exceptionnel pour moi ! 

Et ne loupez pas le très chouette billet de Choco qui en parle vraiment bien, tout comme Jérome !

Un grand merci à  51410427p.jpg et aux éditions Folio !

Bonne plock à tous !

Tête de Chien (HundeHoved), par Morten Ramsland, traduit du danois par Alain Gnaedig, aux éditions Gallimard, collection Folio (2010), 464 p., ISBN 978-2-07-041778-0.



Into the Wild

Into the Wild (10-18)

Pas de suite possible avec Into the Wild : le personnage principal meurt à la fin. Ou plutôt au début. Je ne gâche aucun suspens allons : c’est vendu dès l’avant propos. Certes, les dodos ne sont pas toujours des lumières… mais je n’ai définitivement pas pour habitude de tuer les vocations de lecture dans l’oeuf (wouarf wouarf).

Reste parmi nous, inconditionnel amateur de polar et d’intrigues. Il y a du suspens malgré tout. Si l’on sait que le bonhomme est mort dès le début, ce n’est qu’à la fin que l’on découvre pourquoi, comment, et surtout à quel prix. Cette fin… elle fait sérieusement froid dans le dos, quand j’y repense.

C’est donc une chasse à l’homme mort qui s’engage, et par delà, une chasse à l’Homme. La traque reste évidemment un prétexte tout trouvé par l’auteur pour s’interroger (pas toujours) subtilement sur les aspirations du genre humain. Chris-Alex est parti : il voulait découvrir le monde - ou se découvrir lui-même, on ne sait vraiment, lui non plus, d’ailleurs. Sa terre promise : l’Alaska. Son moteur : la liberté. Son atout : sa foi en l’homme. Son erreur : sa foi en l’homme.

Illustrons nos propos… l’extrait d’une lettre de sa main fera certainement l’affaire : « il faut seulement que nous ayons le courage de tourner le dos à nos habitudes et de nous engager dans une façon de vivre non conventionnelle« . On est parfois admiratif, parfois affligé… Sentiments contradictoires garantis ou remboursés.

L’éditeur aurait pu, tout de même, insérer un avertissement, du genre « Ne pas lire si l’envie de plaquer mari / femme / enfants / boulot / belle-mère (rayer la mention inutile) vous a furieusement traversé l’esprit dernièrement« . Ou bien  »Ceci n’est pas un guide à l’usage de ceux qui projettent des vacances aux frais de la princesse grâce à l’auto-stop« . Parce que, tout dodo casanier et bien élevé que je suis, je vous assure que l’on referme le bouquin avec une indécente envie de plier bagage et dire m.. à beaucoup de choses.

Bonne plock à tous !

PS: Je n’ai pas vu le film… et serait curieux de connaître l’avis de ceux qui ont mêlé ciné et littérature. Est-ce que l’adaptation de Sean Penn est à la hauteur, décevante, intéressante… ?

Allez, bande annonce.

Image de prévisualisation YouTube

 

Into the Wild, par Jon Krakauer (1996), traduit de l’américain par Christian Molinier, aux éditions 10-18, collection Presse de la Cité, Domaine étranger, 285 p., ISBN 978-2-264-05089-2.



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