Au bord du Gange et autres nouvelles, par Rabindranath Tagore

9782070406043.gif « N’est-il pas intolérable que l’animal traqué se retourne et attaque le chasseur ?« 

Il est d’abord un spectre qui raconte à un jeune garçon sa triste histoire  (Le squelette). Il est ensuite un homme qui ne peut oublier l’amour de sa vie (La nuit suprême). Il est aussi un  vieil homme qui perd l’amour de son fils (Le gardien de l’héritage). Ou un fils égoïste qui refuse la générosité de son père (La clé de l’énigme). Ou encore une femme, qui porte un amour exclusif à son frère handicapé au point de mettre à mal son mariage (La soeur aînée). Ou cette autre jeune femme, devenue veuve à huit ans, et qui devient une ombre (Au bord du Gange).Voilà l’Inde traditionnelle, immuable, où rares sont ceux qui se révoltent contre la fatalité.

Il est tant de charme dans ce recueil qu’il m’est en vérité difficile de dire s’il s’agit bien de courtes nouvelles plutôt que de longs poèmes en prose. Ce n’est pourtant pas faute d’un grand respect du genre : de brèves histoires où des destins anecdotiques s’élèvent avec une intensité rare et se brisent dans des chutes parfois effroyables. Mais le récit se pare de tant de magie, de mystère, de grâce, qu’il m’a littéralement envoûte en dépit de sa cruauté.

Délicate, savoureuse, acidulée, les adjectifs me manquent pour qualifier la plume de Rabindranath Tagore. Le fait que la traductrice ait choisi de laisser certains mots dans la langue d’origine – tout en donnant le sens ou l’explication en bas de page – est particulièrement appréciable. Des phrases simples, qui coulent avec une grande douceur ; et c’est peut-être ce qui rend ce texte plus tragique encore.

Car la beauté de l’écriture n’a d’égale que la cruauté des histoires. Tagore dépeint le poids des traditions, le statut des femmes dans une société patriarcale (La soeur aînée, Au bord du Gange), les comportements les plus vils (Le gardien de l’héritage, La clé de l’énigme) et les amours impossibles (Le squelette, La nuit suprême), avec la même langueur et le même sentiment d’impuissance dans des fables sans morale.

« Le même soir, à l’autre extrémité du village, une ombre de mort planait sur l’humble demeure de la veuve, dénuée de pain et privée de fils. D’autres pouvaient oublier les incidents de la journée à la faveur d’un bon repas et d’une bonne nuit, mais pour elle, un tel événement dépassait en importance tout ce qui lui était donné de concevoir en ce vaste monde. Hélas ! Que pouvait-elle opposer à sa destinée ? Un corps décharné et las, et un coeur de mère sans aucun appui et à demi mort de frayeur« .

Difficile de ne pas recommander ce petit livre. Une très belle lecture, commune avec Soukee et Delphine. Egalement l’avis de Kathel.

Lu dans le cadre du challenge Bienvenue en Inde organisé par Hilde et Soukee.

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Bonne plock à tous !

 

Au bord du Gange et autres nouvelles, extraites du recueil Mashi, par Rabindranath Tagore (1925), traduit de l’anglais (Inde) par Hélène du Pasquier, aux éditions Folio (2010), 105 p., ISBN 978-2-07-040604-3.

 



La solitude lumineuse de Pablo Neruda

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Pablo Neruda s’est rappelé à mon bon souvenir grâce à aBeiLLe qui a eu la vraie bonne idée de choisir l’un de ses plus beaux poèmes le temps d’un dimanche poétique.

J’ai donc cherché à retrouver l’un de ses textes (assez court pour ne pas accabler ma PAL qui a bien dû entamer sa troisième boîte de prozac – à ma décharge, il était déjà sur mes étagères). La solitude Lumineuse s’est alors imposée comme une évidence.

Il s’agit d’un court récit écrit par un Neruda déjà célèbre – extrait de J’avoue que j’ai vécu, ses mémoires publiées à titre posthume. Le poète chilien se souvient ici de ses premières années d’écriture : jeune consul entre 1929 et 1932, il est installé, chichement, aux Indes, à Ceylan, en Indonésie. 

Il est seul. De cette solitude « dure comme le mur du prisonnier, contre lequel on peut s’ouvrir la tête sans que personne accoure, même si on crie, même si on pleure« .

Il est seul, notamment parce qu’il côtoie difficilement les occidentaux installés en Asie. Son propos sur le système colonial est particulièrement incisif. Comme à travers cet épisode dans lequel Neruda, se rendant à un dîner mondain, s’arrête un instant pour écouter une voix qui s’élève dans la rue. Il s’explique sur son retard devant ses hôtes anglais.  »Eux qui avaient vécu vingt-cinq ans à Ceylan montrèrent une surprise élégante. De la musique ? Ainsi les gens d’ici avaient leur musique ? Ils l’ignoraient. C’était la première nouvelle.«  

Il s’installe alors dans une « contemplation solitaire (…) [et] douloureuse« . Il la sait nécessaire, car « l’écrivain jeune ne peut écrire sans ce frisson de solitude« . Mais cette époque est, oui, incroyablement lumineuse. L’Asie, c’est un peu sa caverne, dont il sortira notamment par la musique et surtout en achevant son recueil Résidence sur la terre.

L’écrivain n’épargne personne, et surtout pas lui-même. Le regard de l’homme alors vieillissant n’est pas tendre avec le jeune homme qu’il était, et notamment sur son attitude envers les natives de ces pays.

Le récit s’achève sur un dialogue qui, rétrospectivement, fait froid dans le dos. Et c’est en définitive (et en dépit de scènes difficiles comme la chasse à l’éléphant), mon coup de coeur de ce début d’année 2010. Et je n’ai désormais qu’une envie, lire J’avoue que j’ai vécu dans son intégralité.

 

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C’était une superbe manière de préparer le voyage du challenge Bienvenue en Inde.  Ce n’était pas au programme – comme je l’explique plus haut. Mais ces généreux organisateurs que sont Soukee et Hilde m’ont permis de l’y intégrer puisqu’une partie du récit est situé en Inde.

Lu également par Soukee !

Bonne plock à tous !

La solitude Lumineuse, par Pablo Neruda (1973), extrait de J’avoue que j’ai vécu (Confesio que he vivido), aux éditions Gallimard, collection Folio (2€), 81 p., ISBN 978-2-070-31702-8.



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