La Reine des pommes, par Chester Himes 20 juillet
« On pouvait se faire égorger sans crainte d’être dérangé »
Jackson est tellement naïf… Il n’a pas réalisé que cette histoire de billets qui font miraculeusement « des petits » est une belle arnaque dont il était le parfait pigeon. Et il ne voit pas davantage que sa petite amie Imabelle est de mèche avec les escrocs. Convaincu que la bande avec qui elle s’est enfuie la retient contre son gré, il n’a qu’une idée en tête : délivrer sa bien-aimée de leurs sales pattes. Il demande alors de l’aide à son frère Goldy, personnage haut en couleur qui sillonne Harlem déguisé en bonne soeur, vendant des tickets d’entrée au paradis pour se payer sa dose, et ne voit pas davantage que celui-ci cherche à le doubler, avant tout motivé par l’appât du gain.
La Reine des pommes est un récit vif, bourré d’action et d’humour, où l’on ne s’ennuie pas un instant. Quel rythme ! Et quels personnages aussi ! Jackson évolue dans un monde d’escrocs, de toxico, de joueurs, de prostituées, d’assassins – voir tout cela à la fois – particulièrement cruels dans leur volonté de s’en sortir à tout prix au détriment des autres. Et les deux flics, délicieusement surnommés Fossoyeur et Cercueil – dont c’est ici la première apparition sous la plume de l’auteur – ne vont franchement pas relever le niveau des crapules auxquels ils ont affaire.
Un polar ? La Reine des pommes en prend parfois le chemin et dégage un vrai suspens, en particulier dans sa dernière partie. Mais c’est aussi – et peut-être même avant tout – un récit qui oscille entre farce et roman noir, plongeant le lecteur dans une atmosphère parfois très glauque. Car Chester Himes porte un regard sans concession sur Harlem. Il dépeint une société violente où la bêtise des uns n’a d’égale que la méchanceté des autres, offrant un récit drôle et brutal de Candide au pays du banditisme.
Mais c’est surtout le style de Chester Himes qui donne toute sa saveur à ce récit. Une plume inventive, fluide, truffée d’expressions loufoques. Lorsque Jackson sursaute, il manque de « sortir de sa propre peau » et lorsqu’il est assommé, c’est « sous la caresse d’une crosse de pistolet« . Et plus que tout, c’est le « parlé vrai », le langage argotique et parfois grossier des dialogues qui donne tout son réalisme à cette histoire, somme toute assez déjantée.
« - Écoute-moi gars. Les mirontons qui t’ont empilé, eh bien, ils sont recherchés par la police du Mississipi, pour avoir rectifié un Blanc. Ces mecs-là sont dangereux. Si tu sors avec un pistolet, t’es sûr de te faire descendre. C’est tout ce que tu vas y gagner. Et ça l’avancerait à quoi, ta femme, si t’es buté ?
- Je vais les feinter, moi, ces mecs, déclara Jackson rageur.
- T’es fou à lier, mon gars. Tu sais même pas où ils se planquent.
- Je les trouverai, même si je dois sonder toutes les caves de Harlem.
- Mec, saint Pierre lui-même, il connaît pas toutes les caves de Harlem« .
Une excellente lecture et un grand merci à Manu qui a vraiment fait un très bon choix en m’offrant ce livre à l’occasion du Swap’in Follies ! J’ai désormais très envie de découvrir plus en avant cet auteur au parcours atypique.
Bonne plock à tous !
La Reine des pommes (The Five Cornered Square), par Chester Himes (1958), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Minnie Danzas, aux éditions Folio (2009), 282 p., ISBN 978-2-07-040811-5.