La Photographe, par Christophe Ferré

ferr.jpeg « La tour prends garde, la tour prends garde de te laisser abattre« .

La photographe est une nouvelle, construite sur deux temps bien distincts : le 10 septembre 2001, et le lendemain. Française expatriée à New-York, femme libre et indépendante, la photographe court les modèles et les amants, jusqu’à ce que sa route croise celle du Latino. De cette rencontre va naître une nuit d’amour – un vrai amour, un premier vrai amour.

Le 10 septembre, soit la première partie, le récit m’a simplement bercé. La rencontre,  l’ambiance langoureuse s’accordent difficilement avec la sécheresse du style que j’ai pourtant immédiatement apprécié. Une écriture froide qui se prête difficilement à l’évocation du souvenir et de la passion. Des personnages fantomatiques, anonymes, insaisissables, qui me laissent de marbre. Je savoure la plume mais je reste à distance du récit.

Le lendemain en revanche, le récit m’a bouleversé. Toutes les faiblesses jusqu’ici soulignées deviennent une force. Cette même écriture, pudique, succincte, dépassionnée, se prête parfaitement à rendre compte des événements. Ces mêmes individus anonymes, parce qu’ils sont individus anonymes, prennent une dimension universelle. Cette même relation particulière, en tant qu’elle est particulière, n’est plus : elle devient un drame humain, une trame oppressante, une course contre la mort. Et je suffoque en refermant le livre.

Tous mes remerciements aux éditions du moteur pour cet envoi. Des extraits – écrits, parlés, filmés – de cette nouvelle ici

L’avis de Daniel Fattore.

Edit : ce petit livre a entamé un voyage : après son séjour chez Clara, Sandrine et Manu, il pourrait poursuivre sa route jusque chez vous !

Bonne plock à tous !

La photographe, par Christophe Ferré, aux éditions Le Moteur (2010), Prix de la nouvelle de l’Académie française, 86 p., ISBN 978-2-2918602-02-6.



40 ans, 6 morts et quelques jours…, par Victor Rizman

9782953346107.gif « La situation n’a pas changé, mais je la vois littéralement sous un autre jour et je l’accepte« .

Pour présenter ce roman, on peut bien sûr faire dans le classique, en reprenant la présentation de l’éditeur : « un publicitaire, père de famille sans histoire, décide de changer de vie au seuil de ses quarante ans et pour s’interdire tout retour en arrière, commet l’irréparable en devenant serial killer. La mise en scène commence, entraînant un journaliste de second plan mais à l’univers pour le moins étrange et un flic revenu de tout. 3 hommes, 3 histoires, un seul et même tourbillon qui les entraîne dans le sillon de la vie. Le temps de compter jusqu’à 6, et leur vie aura changé. Au-delà de l’intrigue policière, un roman au coeur de la communication, explorant les limites de la manipulation. Une histoire d’hommes qui doutent et qui cherchent mais qui ne s’épargnent pas leur introspection« .

Mais on peut aussi faire dans le moderne, en insérant la vidéo, à l’image du roman et vraiment bien foutue.

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Le narrateur est un type ordinaire, qui, un beau matin – ou plutôt un soir en sortant les poubelles – réalise qu’il n’en peut plus. Sa carrière, sa famille, tout cela n’a plus beaucoup de sens. Commence alors une double vie, une nouvelle vie même, qui va lui permettre d’exprimer sa profonde misanthropie.

L’ensemble des personnages qui gravitent autour du narrateur sont d’une justesse épatante : sa famille, ses relations professionnelles… les personnages de Sanglar – le journaliste – et de Schmitt – le flic – m’ont pourtant semblé plus lointains. Ces chapitres alternatifs sont moins convaincants, plus confus, j’avais hâte (vraiment hâte, et c’est certainement bon signe !) de retrouver le narrateur.

L’autre source de réjouissance, c’est l’écriture de Victor Rizman : un beau phrasé, percutant, d’une grande finesse. L’auteur est capable de mettre en lumière le moindre travers, de sublimer les petites choses du quotidien – ou plutôt  d’en  montrer le côté abject – et de saisir littéralement le lecteur avec le carrelage d’une cuisine, une réunion clientèle ou une cafétéria de troisième zone.

Voilà enfin un roman qui m’a bluffé par la qualité de son intrigue. Après des débuts un rien poussifs, la trame devient palpitante. Et surtout, quel dénouement ! Tout simplement époustouflante, la fin m’a scotchée comme rarement. Un polar non conventionnel, loin du pur divertissement. Largement de quoi séduire les amateurs du genre, mais aussi, certainement, bien au-delà. Car il est question de meurtres et de leur traque journalitistico-policière, mais il est aussi une vraie chronique sociale, un regard fort sur la folie ordinaire et une réflexion amère sur la société de l’internet.

Bonus avec le site de l’auteur, qui précise que 40 ans, 6 morts et quelques jours… est composé de 68% de curiosité, 80% de cynisme, 67% d’humour noir, 72% de suspens, 100% de remise en question et 0,7% de femme à poil… et il n’y a pas tromperie sur la marchandise !

Bref, un grand merci aux éditions Emotion-works pour cette découverte, et à Cynthia pour avoir attiré mon attention sur ce livre ! Egalement les avis de Mango, Clara, Sandrine, Saxaoul… 

Bonne plock à tous !

40 ans, 6 morts et quelques jours…, par Victor Rizman (2009), aux éditions Emotion-Works, 290 p., ISBN 978-2-9533461-0-7. 



L’invisible, par Stella Rimington

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« Selon le jargon de la CIA, le terme «invisible» désigne un terroriste qui a la nationalité et l’ethnie du pays choisi pour cible. Liz Carlyle, de la section antiterroriste du MI5, apprend que la Grande-Bretagne va être infiltrée par un «invisible». Dans le même temps, un jeune indic pakistanais lui signale des mouvements suspects dans une librairie islamiste fondamentaliste de Londres. La menace existe assurément, mais Liz ignore le lieu, la date et la nature de l’attentat…
Dans la veine des classiques du roman d’espionnage, terrain privilégié du suspense, de l’angoisse et du double jeu,
L’Invisible détient une carte maîtresse : l’auteur domine mieux que quiconque le sujet, pour avoir occupé pendant cinq ans le poste de directeur général du MI5« .

La couverture et le quatrième de couverture ne rendent vraiment pas justice à ce polar très réussi. Du classique roman d’espionnage, il est évidemment question, mais pas seulement : ce livre a largement rempli son contrat en dépassant même mes attentes.

La construction du récit est exemplaire. L’intrigue, qui pourrait sembler complexe de prime abord, est riche sans être confuse. D’un côté, l’arrivée d’un Pakistanais sur le sol britannique. De l’autre, du rififi dans le milieu du banditisme. Le puzzle se met en place à une allure idéale, ni trop rapide (c’est précis, crédible, cohérent), ni trop lente (c’est prenant, rythmé, bien calibré). On va de surprise en surprise, et ce jusqu’à la fin. De quoi tirer un excellent film du genre, me suis-je d’ailleurs dit en passant.

Le monde des renseignements semble rendu tel qu’il est : des tensions entre les services, des intuitions, des recoupements ténus et même d’heureux hasards. Ses membres ne sont jamais présentés comme des machines froides ou des warriors à toute épreuve. Liz, par exemple, a un sacré caractère, un amant, des coups de génie et des coups de blues. Rien de plan-plan donc du côté des personnages, les caractères sont assez fouillés, notamment celui de l’Invisible qui se dévoile progressivement. 

Et l’ambiance n’est pas négligée, bien au contraire. L’atmosphère brumeuse de la campagne anglaise (puisque c’est le cadre principal du récit – contrairement à ce que la couverture pourrait laisser croire) est magnifiquement rendue. Ses pubs miteux, ses snobinards et ses paumés, ses plages et ses paysages à perte de vue… de quoi séduire au-delà des amateurs de polar.

A lire absolument pour les adeptes du genre donc, mais pas seulement ! C’est même certainement le livre que je conseillerais pour (re)découvrir les romans d’espionnage. Une enquête très actuelle, qui sonne terriblement juste et sans une once de manichéisme. Et le fait que le personnage principal soit une femme ne gâche rien au plaisir bien sûr ! Bref, un très bon polar comme j’aimerai tellement en lire plus souvent !

Un grand merci à la Team de 47286519 et aux éditions Le livre de poche !

D’autres avis très positifs chez Nathalie, Flof13 et Lagrandestef, un peu plus mitigé chez Véro.

Bonne plock à tous !

PS : mon billet enthousiaste ne doit rien au fait qu’il s’agisse d’un partenariat – j’ai d’ailleurs lu le livre avant les derniers évènements blogosphériques. Précision certainement inutile (je ne me suis pas gênée pour indiquer que certains livres reçus m’ont déçu ici ou ) et justification que je déplore dans le principe… mais autant le faire une fois pour toute. 

L’invisible (At Risk), par Stella Rimington (2004), traduit de l’anglais par Johan-Frederik Hel Guedj, aux éditions Le livre de poche, collection Thriller, 472 p., ISBN : 978-2-253-11615-8.



Un enfant du Pays, par Richard Wright

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Qu’il est difficile de parler de ce livre terminé il y a quelques jours déjà : ce roman est poignant – on croirait le mot inventé pour lui. La boule au ventre qui s’est formée à la lecture me reprend furieusement lorsqu’il s’agit de l’évoquer.

Et qu’il est difficile également d’en parler sans vendre l’intrigue ! Contentons nous d’une mise en bouche : Bigger a une vingtaine d’année dans les années 30, il est extrêmement pauvre, il vit à Chicago – à Bronzeville dans le South Side, quartier réservé de facto aux afro-américains - avec sa mère, sa petite soeur, son petit frère, dans une seule pièce infestée de rats à 8 $ la semaine.

Ce matin là, c’est l’ordinaire, il mange peu, il erre avec deux-trois compères, ils projettent un énième braquage de magasin, Bigger est mort de trouille, à tel point qu’il manque de battre à mort l’un de ses comparses.

Ce soir là, il doit accepter un emploi de chauffeur dans une riche famille blanche de la ville, sur l’insistance de sa mère puisque l’expulsion les menace…

Le point de vue est terriblement intrusif : le roman n’est pas écrit à la première personne, mais le récit nous est livré à travers le regard de Bigger – et le procédé est diablement efficace. Un enfant du Pays peut d’ailleurs s’entendre d’un témoignage. Il n’est pas autobiographique (à la différence de Black Boy du même auteur), bien qu’il soit évident que l’auteur se soit inspiré de son vécu (le parcours de Richard Wright mérite certainement que l’on s’y arrête un instant, par exemple ici).

Ce n’est pas davantage un roman à thèse, ce n’est pas un manifeste, et pourtant il nous interpelle furieusement. Dans quelle mesure Bigger est-il responsable de ses actes ? Quelle est donc la part du déterminisme, et celle du libre arbitre, dans son terrible parcours ?

Bigger, un garçon « exclu de notre société et non assimilé par elle, aspirant cependant à satisfaire des impulsions similaires aux nôtres, mais privées de ces objectifs et des moyens d’y parvenir (…) chaque mouvement de son corps est une protestation inconsciente (…) chacun de ses regards est une menace« …

Voilà donc une histoire qui a de fortes résonances aujourd’hui encore… Certainement la marque d’un très grand livre.

Bonne plock à tous !

 

Un enfant du Pays (Native Son), par Richard Wright (1940), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Bokanowski et Marcel Duhamel, éditions Albin Michel, Livre de Poche, 499 p., ISBN 2-07-037855-1.

 



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