Frankie & Johnnie, de Meyer Levin

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Il faut que je vous explique en deux mots comment ce petit bijou est arrivé entre mes palmes. Prêt d’une amie, qui me dit : ma naaan, tu vas aimer, ouiiii, c’est une histoire d’amour, mais ouiiii, ce livre est fait pour toi. Tiens donc.

Un livre court ? Situé aux States dans les années 1920 ? Un auteur américain que l’on présente comme annonciateur de Salinger et, plus largement, de toute une littérature américaine « qui se refuse à tricher avec les mots comme avec les sentiments«  (quatrième de couverture) ? Allons bon, pas le moindre prétexte valable sous la main… va pour l’histoire d’amour…

Et rapidement je découvre que ce livre est effectivement fait pour moi. Dès la première phrase en fait. « La fois où Frankie [diminutif de Frances] et Johnnie se rencontrèrent, c’était ce jour où Steve, un bras passé sur les épaules de Johnnie et l’autre sur le dossier du fauteuil de Frankie, lui avait dit : – C’est ma frangine« . C’en est fait de Johnnie qui tombe sous le charme de la jeune fille. Qui à son tour le lui rend bien.

On sait peu de choses de Johnnie et Frankie. Ils sont presque hors du temps. Le récit se limite - en grossissant à peine le trait - au regard qu’ils portent l’un sur l’autre, et au regard qu’ils portent sur ceux qui les regardent. Car la bienséance les rattrape. Frankie ne veut pas mettre à mal sa respectabilité, alors Johnnie commence à voir loin, à penser mariage, à réfléchir au coût d’un foyer, à imaginer Frankie portant un tablier dans un pavillon de banlieue – tout ça avec son regard teinté d’idiotie amoureuse et de réalisme amer.

Voilà pour l’histoire au sens strict. C’est tout ? Mais c’est ça le plus fou ! Moi qui ai longtemps pensé qu’une histoire sans intrigue truculente ne vaut pas le coup d’être lue (j’ai mis de l’eau dans mon vin depuis – enfin, un peu), j’ai été littéralement bluffée, conquise, aspirée. Comment ?

L’écriture de Meyer Levin y est certainement pour beaucoup. Fraîche et moderne, elle alterne les petits mots délicieux et le retour à la réalité vulgaire, paragraphe après paragraphe. Dès que la pente de la tendre idylle s’engage, l’auteur vient secouer le lecteur.

« Elle entra dans sa chambre et il la vit se mettre du rouge à lèvres devant la glace. Elle aussi, elle achetait du Kissproof. Il en avait déjà croisé, qui en demandait dans les drugstores. C’étaient les marie-couche-toi-là qui se servaient de ça.

Il eut envie de rire à la voir s’appliquer, et elle savait qu’il la regardait. Elle avait tout du chat qui se caresse le museau avec ses petites pattes, s’arrête un instant pour vous regarder puis remet ça. Il se demanda pourquoi les garçons étaient toujours épatés en regardant les filles se mettre du rouge à lèvres. C’était drôle, cette façon qu’elle avait de remuer la bouche comme un lapin« .

D’où cette ambiance pertinemment sur le fil, qui oscille entre volupté et pincement, laissant évidemment présager que cette histoire n’est peut-être qu’une parenthèse dorée qui va dans le mur.

Petite originalité :  le récit contient deux fins. Au dénouement originel de 1930, Levin ajoute quelques pages à l’occasion de la réédition de 1952. Les deux m’ont semblé aussi emplies d’amertume, loin, très loin de ces finish à l’américaine capable d’aplatir les plus belles montagnes.

Meyer Levin, un auteur moins prolifique que Steinbeck, Faulkner ou Hemingway, mais qui fait une entrée fracassante dans mon panthéon des grands américains.

Ma ouiiiii j’ai méchamment aimé ce bouquin. Un gros coup de coeur même !

Bonne plock à tous !

Frankie & Johnnie (The Young Lovers, Frankie & Johnnie), par Meyer Levin (1930-1952), traduit de l’anglais  (Etats-Unis) par Muriel Goldrajch, aux éditions Phébus (2005), 169 p., ISBN 978-2-7529-0067-8. 



20 commentaires

  1. keisha 16 avril

    Hououou je ne connais pas du tout!!!

  2. Lily 16 avril

    Je ne connais pas du tout ni ce livre, ni cet auteur mais ton avis m’intrigue, il va aller rejoindre ma lal car ça m’a l’air d’être un livre très sympa !!

    Bon week end,
    Lily

  3. clara 16 avril

    Encore un auteur inconnu ( honte à moi!)

  4. Pickwick 16 avril

    @ Keisha : je ne connaissais pas du tout non plus ! Il semble que son roman le plus célèbre soit « Crime » (1956, édité chez Phébus également). Je ne peux pas faire suivre le livre, mais ce n’est pas l’envie qui manque !!

    @ Lily : tout pareil jusqu’à la semaine dernière. J’espère que le coup de coeur sera réciproque, mais comme il est assez court, je le conseille sans risque je crois !

    Clara : non surtout pas ! « Crime » semble lu aux Etats-Unis surtout, de ce que j’ai vu. Je me targuais de plutot bien connaitre les classiques américains… pan dans les dents :D !

  5. Alice 16 avril

    HAHAHAHA ELLE LIT DES BOUQUINS D’AMOUR LA HOOOOOOOOOOOOOOOOOONTEUH =ppppppp

    Bon d’accord d’accord, ça a l’air pas mal è.é

  6. Pickwick 16 avril

    @ Alice : nan mé, même les handicapés du sentiment ont droit au bonheur ;) !! D’ailleurs, je n’ai pas pensé à te le recommander personnellement, l’erreur l’erreur :D !

  7. Ys 17 avril

    Quelle découverte ! Comparable à Steinbeck en plus… et absolument inconnu. Heureusement qu’il y a la blogosphère !

  8. Amélie 17 avril

    Je suis férue de littérature anglophone et je ne connais pas cet auteur, ton billet me donne envie de tenter. Vais voir si je le trouve en VO. Et hop, la PAL qui s’alloooooooooooonge.

  9. L’Ogresse 17 avril

    Je ne connais pas non plus. Je ne suis pas fortiche en histoires d’amour, mais tu m’intrigues la.

  10. Pickwick 17 avril

    @ Ys : une très belle découverte oui !! J’ai cité Steinbeck dont je suis férue, mais leurs écritures ne sont pas tellement comparables je crois : le style est plus « sec » et le genre moins épique chez Levin je trouve. Et Hemingway vouait un culte à Levin dixit la préface !

    @ Amélie : oh je te souhaite vraiement de le trouver, surtout en VO ! Et ça se lit vite en plus !

    @ L’Ogresse : ben vi, je n’aurai jamais ouvert ce livre sans un odieux chantage :) Mais c’est très moderne je trouve, un regard à la fois distant et intimiste sur la romance.
    Et psss : on m’a proposé un choix de livres en partenariat, j’ai opté de suite pour Orages Ordinaires de Boyd ! J’ai hâte de le lire !

  11. Liyah 17 avril

    Je prends note merci Pickwick !
    Tu es taguée chez moi (oui encore ! lol!) si bien sur le cœur t’en dis !

    http://lecturesdeliyah.over-blog.com/article-tag-histoire-de-pal-48778165.html

  12. Miss Babooshka 17 avril

    Je ne connais pas du tout … Cela m’intrigue … D’autant que pitchounette j’avais un film (un vrai coup de coeur) intitulé … Frankie & Johnny avec Michelle Pfeiffer & Al Pacino.

  13. Pickwick 17 avril

    @ Liyah : compte sur moi !! Très chouette idée de tag je trouve, avec un peu de poésie à la clé !! ‘arci !!

    @ Miss Babooshka : très bien vu !! Après une petite recherche, il semble que ce soit effectivement le film tiré du livre éponyme. Bien alors le film ? Très envie de le voir maintenant (même si je n’imaginais pas du tout Frankie sous les traits de la Pfeiffer, allons bon !) ‘arci aussi !!

  14. Manu 18 avril

    Avec un avis pareil, je ne peux que noter !

  15. L’Ogresse 18 avril

    Je me souviens avoir bien aime le film – ah ca se confirme !

    Bonne lecture avec le Boyd, j’aimerais bien savoir ce que tu en penses.

  16. Géraldine 20 avril

    Je ne connaissais pas cet auteur, mais vu ton enthousiasme, je ne peux que noter !

  17. Pickwick 21 avril

    @ Manu : un petit bijou ! J’espère qu’il te tapera dans l’oeil :) !

    @ L’Ogresse : je vais vraiment chercher ce film ! Et le Boyd est pour bientot, partenariat oblige ;) !

    @ Géraldine : une très belle découverte :) !!

  18. Choco 28 avril

    Bon et bien moi aussi je note ton petit bijou ! :)

  19. Lara K 5 décembre

    Ils sont côte à côte dans la voiture… Le frère de Frankie, derrière à observer…
    Elle veut apprendre à conduire, Johnnie propose de lui donner des leçons. Elle pose sa main sur le levier de vitesse, il attend le feu vert pour la guider…
    « Il se dit que s’il serrait sa main, il entendrait craquer ses petits os. Ou peut-être étaient-ils si petits et si tendres qu’ils ne craqueraient même pas, ils rouleraient l’un sur l’autre sans un bruit…/…
    Le frère, pour finir : « Ben, dis donc, tout ça pour se tenir la main! »
    Tellement touchant !!!

  20. immobilier 11 janvier

    sensationnelle article, merci beaucoup.
    immobilier http://www.courtierimmobilier.eu

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